Les couleurs du silence

Chapitre 4

Paka Malaisie Février-mars 2020

«La danse des âmes»

Mon intégration en Malaisie a été marquée par des rencontres déterminantes. Parmi elles, mes amis peintres malais du Persatuan Pelukis Terengganu – ou «Peter» – qui m’ont accueillie avec une générosité incroyable. Être la seule femme, et qui plus est occidentale, à faire partie de ce groupe d’artistes talentueux était un immense honneur pour moi.

Ensemble, nous avons préparé une exposition importante à Kuala Terengganu, dans l’emblématique pont Terengganu Drawbridge, une structure moderne qui incarne la fierté de l’État. Parmi mes œuvres, ils ont choisi de mettre en avant La Danse des âmes. Ce choix n’était pas anodin : ce tableau raconte une histoire profondément ancrée dans notre kampung et, au-delà, dans la réalité quotidienne de la région.

La toile représente une petite maison en bois sur pilotis, à l’angle de ma rue et de la route côtière reliant Kuantan à Kota Bharu. Cette maison, si modeste, est devenue le témoin silencieux de tragédies récurrentes. Placée dans un virage dangereux, à l’entrée de notre kampung, elle est régulièrement percutée par des voitures essayant d’éviter un accident ou de négocier un passage compliqué. À chaque sortie de route, les véhicules finissent encastrés sous les pilotis, et souvent, les occupants perdent la vie.

Le titre La Danse des âmes fait écho à ce drame : les âmes des défunts semblant danser autour de cette maison, à la frontière entre la vie et la mort. Peindre cette scène n’était pas seulement une manière de témoigner de ces tragédies, mais aussi de mettre en lumière un problème qui aurait dû être résolu depuis longtemps.

L’exposition, intitulée Ulek Jiwa, a attiré de nombreux visiteurs, et parmi eux, le Sultan du Terengganu. En découvrant mon tableau et en apprenant son histoire, il a immédiatement pris des mesures pour régler le problème : des feux de signalisation ont été installés peu après.

Pour moi, ce n’était pas seulement une victoire artistique, mais une preuve de l’impact que l’art peut avoir sur le monde. À travers mon tableau, j’avais réussi à traduire une réalité locale en une œuvre qui touchait les gens, jusqu’au sommet de l’État.

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